Comment les rois du numérique protègent mieux que nous leurs capacités d’attention

Les outils de communication digitaux sont devenus la principale cause de notre incapacité à poser notre attention intensément et de ce fait, une des sources majeures de notre frustration dans notre rapport au temps (« je change toujours de sujet », « je n’ai jamais pas le temps de faire les choses importantes », etc).

Pourtant les gurus du secteur des nouvelles technologies, sont devenus l’alpha et l’omega de la performance industrielle et économique. On accourt à leur conférence TED, on imite dès le lendemain leur dernière lubie, et les grands de ce monde boivent leurs paroles comme les dirigeants Athéniens écoutaient la Pythie dans la Grèce antique.

Un certain paradoxe se dessine alors : ceux-là même qui conçoivent les outils de dispersion mentale semblent parfaitement contrôler et maintenir leurs capacités cognitives pour en tirer des avantages professionnels et économiques immenses. Le doute émerge : peut-être ne consomment-ils pas la came qu’ils conçoivent et distribuent comme la consomment leurs milliards de clients ?

De Steve Jobs, à Jack Dorsey, en passant par des cadres de la Silicon Valley, voici un florilège des protections que les champions de la nouvelle économie mettent en œuvre dans leur propres usages de leurs outils.

Deux intérêts à cette prise de recul sur leurs comportements vis-à-vis de ces pièges à attention :

  • Se rendre compte que les modèles de réussite qu’on nous vend à longueur de journée ne sont pas dupes des dangers de leurs créations, et ainsi peut-être chercher à les imiter sur ces comportements de protection plutôt que sur les comportements plus visibles qu’on leur prête.

  • Aider à une prise de conscience d’une certaine forme de manipulation et créer chez nous la motivation pour y résister. Ce sentiment de résistance devient alors une force positive dans la lutte pour récupérer notre attention et changer nos habitudes d’usage les plus néfastes.

On est tous accro, et tout le monde le sait à San Francisco

La littérature sur les meilleures pratiques de conception et de développement de produit numérique décrit maintenant clairement les façons de créer des comportements compulsifs en attirant irrémédiablement et en permanence l’attention des utilisateurs. Ainsi, tous les livres sur la « gamification » regorgent d’astuce sur ce plan pour nous rendre accro et en conséquence nous faire perdre nos capacités d’attention au profit de l’outil.

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Le livre Hooked - How to Build Habit-Forming Products, écrit par un expert en expérience utilisateur numérique, est remarquable à cet égard. Le but du livre est de déconstruire les mécanismes de ces outils qui accaparent notre attention pour mieux utiliser ces mécanismes dans des applications « positives » et moins manipulatrices de leurs utilisateurs. Je traduit l’introduction qui dresse un état des lieux terrible en toute lucidité :

« 79% des propriétaires de smartphone regarde leur appareil dans les 15 minutes après s’être reveillé.

Plus étonnant encore, un tiers des américains disent préférer arrêter le sexe plutôt que de perdre leur téléphone mobile.

Une étude universitaire de 2011 suggère que les gens regardent leur téléphone 34 fois par jour. Cependant des experts de l’industrie numérique estiment que ce chiffre est plus proche des 150 fois par jour.

Regardons la réalité en face : on est accro. »

On a le droit d’être un peu mal à l’aise en lisant un tel concentré de lucidité sur les méfaits du numérique dans un livre qui décrit les mécanisme de l’addiction pour mieux aider à construire de nouvelles expériences digitales (mais cette fois ci c’est pour notre bien évidemment…)

Twitter n’est pas jouer

Jack Dorsey est le co-fondateur et président de Twitter, un des outils les plus puissants pour capter l’attention de ses utilisateur en permanence. Quel usage Jack fait-il de son propre outils ? Est-ce que ce bon Jack a réussi à conserver des capacités d’attention élevées malgré Twitter ?

Ses routines sont éclairantes sur ces questions : non Jack n’est pas accro à Twitter, loin de là. Il ne commence pas sa journée par des gazouillis numériques sur son réseau social, mais plutôt par 30 minutes de méditation, puis par 20 minutes de sport, activités dont les effets sur l’attention sont avérés.

D’ailleurs à bien regarder sa timeline Twitter, on voit qu’il est relativement actif, mais très loin derrière les gros utilisateurs accros. Il raisonne très largement son propre usage et n’est sûrement pas un utilisateur compulsif de son propre outil.

Je vous laisse étudier la même question pour Mark Zuckerberg mais je doute qu’il soit autant accro que la plupart d’entre nous à son réseau social, et je devine que ça l’aide à conservé des capacités d’attention très fortes.

Steve Jobs, un parent « low tech »

Au delà de l’usage raisonné qu’il font de leur produit, les gurus et concepteurs des outils numériques sont aussi hyper conscients des effets d’une utilisation non cadrée sur les enfants, en particulier sur leur capacité d’attention et leur imaginaire. Là encore le cadre qu’ils posent chez eux est sans doute beaucoup plus strict que celui qui existe dans nos foyers.

Prenons l’archétype du guru numérique, Steve Jobs, qui comme cet article du New York Times nous l’apprend, limitait très fortement la place des outils qu’il concevait chez lui.

A la question d’un journaliste « Vos enfants doivent adorer l’iPad », Jobs répond « Ils n’en ont jamais utilisé, nous limitons la quantité de technologie dans les mains de nos enfants ».

Je ne sais pas quel âge avaient les enfants en question au moment de l’interview mais la réponse est assez frappante. La personne la plus emblématique de l’emprise du numérique sur nos vies, et par rebond sur notre attention, interdisait à ses propres enfants les puits à attention qu’il concevait. Génial.

Et le biographe de Jobs d’ajouter :

« Tous les soirs Steve s’assurait que la famille dîne ensemble sur la longue table de la cuisine, discutant de livre, d’histoire, ou de plein d’autres choses. Jamais personne n’a sorti un iPad ou un ordinateur pendant ces dîners. Les enfants ne semblait pas du tout accros à ces technologies »

Une école dans la Valley

Toujours à propos des effets des outils numériques sur l’attention des enfants, j’aime beaucoup cet autre article du New York Times relatant comment des cadres de la Silicon Valley envoient leurs enfants dans des écoles privées très rétros, totalement dépourvues de tout outillage numérique, à contre courant du mouvement d’équipement massif des écoles des pays occidentaux.

Alan Eagle, un des parents de cette école, cadre supérieur dans le département communication de Google (il écrit entre autres des discours pour Eric Schmidt, il sait de quoi il parle quand il donne son avis sur la place de la technologie dans nos vies) :

« Je réfute l’idée que la technologie puisse aider dans l’apprentissage de la grammaire à l’école. L’idée qu’une app sur iPad puisse mieux enseigner comment lire ou calculer est ridicule. »

Puis il répond à ceux qui s’inquiète sur le retard que pourraient prendre les enfants privés de tablette :

« Ces outils sont super simples. C’est comme le dentifrice. A Google et dans les entreprises similaires, on crée de la technologie aussi bête et simple à utiliser que possible. Il n’y a aucune raison que les enfants ne comprennent pas l’usage de ces outils le jour où ils y auront accès en devenant plus grand ».

Autre idée à déconstruire : les enfants qui jouent avec l’iPad/le smartphone seraient mieux outillés pour affronter un futur environnement professionnel hyper technologique. Le problème avec cette croyance c’est que les outils numériques les plus pointus des emplois les plus enrichissants (socialement, professionnellement, financièrement) ne ressemblent pas du tout aux produits numériques grand publique qui fonctionnent parfaitement « cerveau éteint ». En effet, l’apprentissage des outils utiles aux métiers les plus complexes requière surtout des capacités d’abstraction, d’attention en profondeur et d’imagination, que les enfants développent beaucoup mieux en dehors des sollicitations numériques par du très « low tech » (livres, dessins, etc).

Slacker n’est pas jouer

Vous connaissez peut-être Slack C’est un outil de collaboration qui supporte les discussions de groupe (« group chat ») et passe maintenant pour l’indispensable support des échanges des équipes qui savent mettre à profit toute la puissance du numérique.

Ce type d’outil réduit une petite partie des maux de l’email, mais crée aussi d’énormes pièges à attention, le tout bien sûr en installant chez ses utilisateurs des comportements répétitifs et compulsifs. Jason Fried, qui connaît très bien ce type d’outil pour avoir développé un des premiers chats de groupe avec l’outil Campfire, analyse parfaitement les méfaits d’une confiance aveugle dans l’outil dernier cris qui nous garderait des dangers des outils numériques plus anciens.

Encore une fois beaucoup de lucidité et de prise de recul dans son usage personnel des outils qu’il crée et commercialise lui même.

Conclusion

Les effets néfastes des outils numériques sur nos capacités cognitives sont maintenant certains.

Dans ce contexte, maîtriser son attention est un sport de combat, une lutte de chaque instant contre des gens brillants qui conçoivent les expériences numériques addictives dans lesquelles nous sommes plongés en permanence.

Qu’on ne se méprenne pas, je ne dis pas que ces produits numériques sont le mal absolu :

  • Je suis moi même gros consommateur d'application de news (normal j'ai bossé plusieurs années au Monde), Twitter est indispensable à ma veille et j’accompagne des équipes dans la conception et le développement de produits numériques. J’aurai du mal à me dire qu’il s’agit du pire poison : je suis convaincu des apports positifs de l’outil numérique tant que leurs usages restent maîtrisés ;
  • Ces produits sont les produits d’entreprises commerciales, pas de philanthropes, c’est normal que ces entreprises se rémunèrent sur le dos de leurs utilisateurs. Il faut juste être conscient que la marchandise commercialisée par ces produits est notre attention (cf « quand c’est gratuit c’est vous le produit »). Les données personnelles étant l’autre volet de cette marchandisation invisible mais la plupart du temps elles servent principalement à encore mieux capter et commercialiser votre attention.

Espérons toutefois garder la même lucidité que leurs concepteurs quant aux dangers sur notre attention de la sur-utilisation de ces outils. Se le rappeler régulièrement nous aide à tirer le meilleur de ces outils formidables en tentant de ne pas tomber dans les pièges qu'ils creusent puissamment sous nos pieds.

Finissons par une note de sagesse du Dailai Lama trouvée sur … Twitter ;-)


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