Procrastination , ce que dit la science (2ème partie) - les vrais facteurs de la procrastination

Le premier article de cette série « science et procrastination » montrait la corrélation entre la tendance à procrastiner et un niveau de stress plus élevé, une santé moins bonne et une performance moindre.

Découvrons maintenant les vraies corrélations entre la procrastination et les caractéristiques de la tâche qu’on repousse, puis entre la procrastination et les traits de personnalité. Encore une fois, l’objectif est de mieux comprendre la nature réelle de la procrastination pour mieux s’en protéger ou simplement mieux la supporter.

Quelles sont les caractéristiques d’une tâche qui nous incitent à la repousser à plus tard ?

Et côté traits de personnalité, est-ce qu’on repousse plus facilement des actions quand on est déprimé ou anxieux ? Quand on a peur de l’échec ? Quand on est trop perfectionniste ? Est-ce que le niveau d’efficacité personnelle est fortement lié à la tendance à procrastiner ? Quelle est la part dans la procrastination des traits liés à l’organisation personnelle vs des traits plus psychologiques ?

Piers Steel de l’université de Calgary a réalisé en 2007 une méta analyse qui fait autorité sur la questions de la procrastination. Cette méta analyse se base sur des centaines de travaux scientifiques plus anciens et permet ainsi de discerner de manière plus sûre les corrélations réelles des croyances populaires sur la procrastination. L’étude constitue une véritable mine d’or pour bien cerner les vrais facteurs de la procrastination.

L’étude s’intitule The Nature of Procrastination: A Meta-Analytic and Theoretical Review of Quintessential Self-Regulatory Failure.

Les tâches qui nous font procrastiner

Résultat auquel on pouvait s’attendre : la méta analyse montre qu’il y a une forte corrélation entre l’aversion pour une tâche et le fait de la retarder à plus tard.

En particulier, des travaux scientifiques montrent qu’on aura plus tendance à procrastiner une tâche lorsqu’elle sous-tend une faible autonomie, un faible sens et peu de feedback. La procrastination sera aussi très probable si la tâche nous frustre ou est ennuyeuse.

Oh surprise, ces caractéristiques favorisant la procrastination sont à l’exact opposé des 3 facteurs de l’engagement popularisés par Daniel Pink, à savoir l’autonomie, la maîtrise et le but :

  • L’autonomie : sans autonomie dans une action je suis moins engagé selon Pink et d’après l’étude sur la procrastination je vais aussi avoir plus tendance à la retarder.
  • La maîtrise (mastery chez Pink) : la maîtrise c’est l’art d’exceller dans le geste, en progressant sans cesse. En ce sens, le feedback est le composant central de la maîtrise, car pas de progression possible sans feedback. Il ne peut pas y avoir de sentiment de maîtrise lorsque la tâche est ennuyeuse comme c’est le cas des tâches qui facilitent la procrastination.
  • Le but (purpose) : procrastination rime avec action sans signification, ce qui est un des 3 pré-requis à l’engagement selon Pink.

Les traits de personnalité liés à la procrastination

Le modèle Big Five

La méta étude sur la procrastination se base sur le modèle d’analyse de personnalité appelé modèle des Big Five, pour identifier les traits de personnalité liés à la procrastination. Ce modèle des Big Five, même si il a des défauts, est un standard très répandu dans les tests de personnalité et permet ainsi à la méta étude de comparer des centaines d’études entre elles.

Vous allez le voir, la méta analyse confirme certaines de vos intuitions sur les liens entre personnalité et procrastination, mais en contredit aussi beaucoup d’autres ! Ces résultats vont nous aider à y voir plus clair dans les vrais facteurs de la procrastination, plutôt que de se raconter des histoires ou de tenter des contre mesures qui ne changeront pas grand chose car s’attaquant à des facteurs secondaires.

Etudions les corrélations entre les 5 traits du modèle Big Five et la procrastination. Avant ça, quelques rappels d’usage sur la corrélation :

  • Une corrélation forte signifie que 2 phénomènes sont fortement liés et permet de faire des prédictions. Si A est fortement corrélé à B, alors on peut prédire de manière assez fiable B en fonction de A.
  • Une corrélation peut-être positive ou négative. Une corrélation positive entre A et B signifie que quand A est fort, alors B sera aussi plus fort. Une corrélation négative entre A et B signifie que si A augmente alors B va diminuer.
  • Corrélation n’est pas causalité. Il peut y avoir une corrélation forte entre 2 phénomènes sans que le lien de causalité soit celui qu’on devine intuitivement. Il peut même ne pas avoir du tout de lien de causalité entre les 2 phénomènes corrélés mais un lien détourné avec un troisième phénomène qui explique les 2 premiers.

Neuroticisme

Premier trait du modèle Big Five, le neuroticisme (si si ça existe en français). Le neuroticisme, c’est le contraire de la stabilité émotionnelle, c’est la tendance à éprouver facilement des émotions désagréables comme la colère, l'inquiétude, la dépression ou la vulnérabilité.

Premier résultat très intéressant, contrairement à ce qu’on peut intuiter, la corrélation entre le neuroticisme et la procrastination est faible. L’étude va un peu plus loin en décomposant les sous-facettes du neuroticisme pour déterminer celles qui comptent le plus. On découvre alors :

Une faible corrélation avec la peur de l’échec : contrairement à une idée répandue, notamment dans les approches psychiatriques de la procrastination (cf ce livre par exemple), la peur de l’échec est faiblement liée à la tendance à procrastiner.

Une corrélation nulle avec le perfectionnisme : là aussi surprise, une tendance à chercher à faire trop bien n’explique pas la tendance à procrastiner, il va falloir chercher ailleurs…

Une corrélation faible avec la dépression : la déprime vous guette et vous avez tendance à procrastiner ? Il n’y a sans doute qu’une faible relation entre les deux.

Une forte corrélation avec la confiance qu’on a en son efficacité personnelle (self-efficacy en anglais) : c’est la facette du neuroticisme avec la plus forte corrélation ! C’est donc un premier résultat clé à retenir : on a plus tendance à procrastiner quand on a faiblement confiance dans ses capacités à faire.

Ouverture

L’ouverture est liée dans le modèle Big Five à la curiosité, à l’imagination et aux aptitudes intellectuelles et scolaires.

Demi surprise, il n’y a aucune corrélation entre ouverture et tendance à procrastiner. D’autres études ont confirmé ce résultat : vous pouvez être très intelligent et fort procrastinateur ou alors très bête et très faible procrastinateur, et inversement.

Agréabilité

La méta étude révèle une corrélation très faible entre l’agréabilité qui est la tendance à être compatissant et coopératif et la procrastination. Rien à creuser de ce côté là.

Extraversion

On aurait pu s’attendre à ce que les grands extravertis qui recherchent la stimulation et la compagnie d’autrui aient plus tendance à procrastiner en préférant les situations sociales, mais il n’en est rien. La corrélation est très faible entre extraversion et procrastination : vous pouvez continuer à sortir tous les soirs, ça ne fera probablement pas de vous un procrastinateur !

Consciensiosité

Dernier trait du modèle Big Five, la consciensiosité (oui ça existe ;-)). Il s’agit de l’autodiscipline, du respect des obligations, de l’organisation plutôt que la spontanéité, de l’orientation vers des buts. La méta étude montre que c’est LE trait de caractère qui est fortement corrélé (négativement) avec la tendance à procrastiner. Un fort niveau de consciensiosité va aller de pair avec une faible tendance à procrastiner.

Les sous-facettes de la consciensiosité que sont le contrôle de soi, la distractibilité, l’organisation et le besoin de réussir, sont très fortement liées à la procrastination. En approfondissant, l’étude montre que la sous-facette la plus fortement corrélée est le contrôle de soi. D’autres études citées montrent que le contrôle de soi est en fait quasi synonyme d’anti procrastination.

Ce résultat est capital : les justifications qu’on tente parfois de se donner pour expliquer sa propre procrastination ne tiennent pas la plupart du temps car il s’agit essentiellement d’un problème de contrôle de soi. Nous n’arrivons pas à faire obstacle aux comportements réflexes qui sont les nôtres, la partie la plus consciente de notre cerveau ne prend pas le dessus sur notre pilote automatique.

Et l’âge ?

L’étude montre aussi une corrélation négative entre l’âge et la procrastination : plus on vieillit moins on procrastine. Aucune explication n’est donnée à ce résultat qui fait presque sourire, les explications suivantes seraient possibles selon moi :

  • En vieillissant on acquière une meilleure idée de la valeur du temps ? En sentant la fin s’approcher on se dit que ce serait dommage de repousser au lendemain ce qu’on peut faire maintenant ?
  • En vieillissant on a petit à petit amélioré le contrôle de soi ? On apprendrait à mieux contrecarrer nos réflexes délétères qui nous poussent à procrastiner ?

Conclusion

Contrairement à ce qu’on aurait pu deviner, anxiété, dépression, perfectionnisme et peur de l’échec sont faiblement ou pas du tout liés à la procrastination. En revanche confiance en son efficacité personnelle et contrôle de soi sont au centre de la procrastination !

Attention, ces résultats ne signifient pas que le perfectionnisme, la dépression ou la peur de l’échec ne sont pas des causes possibles de notre procrastination, mais plutôt que par ordre de priorité nous devons d’abord regarder du côté du contrôle de soi et de la confiance en son efficacité personnelle, avant de chercher des clés du côté des pensées négatives.

Ces résultats nous invitent à éviter de justifier nos comportements par des facteurs qui nous plaisent a priori, en regardant la réalité droit dans les yeux. Je procrastine très probablement parce que je suis facilement distrait ou que je n’arrive pas à faire taire mon singe intérieur qui remue dans tous les sens et me conseille d’aller zoner sur Twitter plutôt que de finir cet article de blog !

Dans une prochain article de cette série « science et procrastination», je vais partager un modèle créé par Piers Steel, l’auteur de la méta étude dont on vient de parler, qui articule tous les facteurs qu’on vient de voir (confiance en ses capacités, contrôle de soi, attractivité de la tâche) pour expliquer notre motivation à attaquer des tâches. Ce modèle nous permettra d’identifier les contre mesures anti procrastination qui ont toutes les chances de fonctionner.


Les autres articles de cette « ce que la science nous apprend sur la procrastination » :


Meilleure définition de vos objectifs, efficacité dans la gestion de vos tâches, récupération de votre attention, lutte contre la procrastination : en une journée, la formation Le Temps Reconquis vous donnera tous les outils pour reprendre en main votre temps à l'ère du digital.


  • Trouver enfin le temps de lancer vos projets les plus ambitieux.
  • Découvrez toutes les routines et astuces des ninjas de la gestion du temps.
  • Retrouvez les capacités d’attention que vous aviez avant votre premier smartphone.