Gestion des interruptions : vous êtes très mauvais, voici les chiffres

Le rocker qui sommeille en vous est-il encore capable d’écouter de bout en bout Stairway to Heaven de Led Zepplin (le morceau dure 7 minutes 58), sans s’interrompre pour regarder ses emails ? Ou bien vous rencontrez déjà des difficultés à tenir les 3 minutes et 32 secondes du très nerveux Anarchy in the UK des Sex Pistols, malgré votre amour inconditionnel pour ce morceau ?

On a tous l’intuition que nous changeons de tâche frénétiquement. Nos capacités à rester sur une seule et même action plus de quelques minutes sont de plus en plus atrophiées, que ce soit parce qu’on « multi task » en faisant plusieurs choses en même temps, ou parce que des interruptions incessantes nous incitent à mettre en pause une tâche pour passer à une autre.

Au delà de la gêne un peu vague qu’on ressent tous à ce sujet, quelle est la mesure réelle du phénomène ? Sommes-nous plus, ou moins atteint que ce qu’on imagine ?

Petit pronostique : quelle est selon vous, la durée moyenne passée sur une seule et même tâche avant de passer à la suivante, dans nos environnements professionnels ?

  • 15 minutes ?
  • 10 minutes ?
  • 5 minutes ?
  • 1 minute ?

La réponse objective et étayée qui va suivre est intéressante, car d’une part elle montre que nous sommes très mauvais à évaluer des durées (durée d’une action, durée d’une pause, durée sans interruption), et d’autre part elle met en exergue un chiffre plutôt effrayant sur la réalité de notre temps fragmenté.

L’étude

Des chercheurs américains ont suivi comme leur ombre 14 personnes pendant plusieurs jours, en notant seconde après seconde toutes leurs activités, le type d’activité, le temps passé sur chacune, le délai entre des interruptions et la nature des interruptions.

Le contexte de l’étude est un peu particulier puisqu’il s’agit d’une équipe en charge de développer et de maintenir un logiciel financier. Les profils métier sont multiples : développeur, analyste concepteur, managers.

Un analyste rencontré pendant l’étude insiste sur le rythme effréné spécifique à leur contexte :

« Nos clients attendent 100% d’exactitude. Ils ne veulent pas 99,9%. Beaucoup de gens se disent “je pourrais corriger ça demain”. Notre entreprise ne fonctionne pas comme ça. Dans ce secteur d’activité nous avons besoin de corriger les problèmes tout de suite. Chaque problème est un problème majeur. Vous savez un achat en bourse vaut au minimum des millions de dollars. »

Même si vous ne développez pas de logiciel financier, je devine que votre contexte partage des similitudes avec celui de l’étude, notamment sur l’hyper connexion numérique et les exigences de réactivité.

Le temps moyen entre deux interruptions

Le résultat de l’étude est effrayant : le temps moyen passé sur une seule et même tâche entre deux interruptions est seulement de 3 minutes et 8 secondes !

A ce stade on pourrait se dire que ce chiffre ridiculement bas est en partie dû à la culture de l’entreprise étudiée (des geeks du secteur financier). Après tout votre contexte est probablement plus studieux et offre sans doute les conditions pour des périodes de concentration ou d’activité mono tâches plus longues.

Malheureusement, l’ordre de grandeur est confirmé par d’autres études dans d’autres contextes.

Par exemple cette autre étude s’est attaché à l’analyse des interruptions dans une entreprise qui fournit des études techniques et scientifiques. On pourrait se dire qu’il s’agit d’un contexte qui réclame plus d’attention en profondeur que celui des développeurs de logiciel financier. Et bien non, le temps moyen mesuré entre 2 interruptions est cette fois de 2 minutes et 31 secondes !

Pire encore, une étude plus récente sur des profils d’une institution scientifique (ingénieur, chimiste, biologiste) a mesuré un temps moyen entre deux interruptions de 1 minute et 15 secondes !

Une explication possible de cette dégradation d’étude en étude, tient peut-être à leur date de réalisation. La première a eu lieu en 2004 (3 minute entre 2 interruptions), la seconde en 2008 (2 minute 31) et la dernière en 2012 (1 minute 15).

  • 2004 : 3 minutes 8 secondes
  • 2008 : 2 minutes 31 secondes
  • 2012 : 1 minute 15 secondes
  • 2016 : peut-être vaut-il mieux ignorer ce chiffre ?

Même dans un contexte très studieux c’est très probable que vous ne teniez pas votre concentration sur la durée d’un morceau des Sex Pistols !

Oui, mais tout le monde vient m’interrompre d’abord !

Les chercheurs de la première étude sur les geeks du secteur financier ont aussi étudié les différents types d’interruption et ont mesuré la part de chacun de ces types.

Nouvelle devinette : quelle est la part relative des interruptions externes dues à votre environnement (comme lorsqu’une personne vient vous interrompre pour vous poser une question ou lorsque vous recevez un appel téléphonique) ? Quelle est la part des interruptions internes (du type, « tiens j’en ai marre je vais changer de sujet » ou « et si je regardais mes emails pour la 100ème fois aujourd’hui ») ?

Nos environnements ultra connectés, multi projets et multi acteurs étant une source d’interruptions permanentes, on pourrait donc s’attendre à une grosse part des interruptions d’origine externes.

Surprise : 49% des interruptions ont une cause interne et ne sont pas dues à notre environnement mais à notre « singe intérieur » !

Note pour soi-même : nous avons facilement tendance à attendre qu’on élimine les interruptions externes liées à notre environnement de travail. Il y a donc beaucoup à faire de manière autonome avant d’attendre que l’Etat légifère sur la consultation de notre boîte email ou que le CE ou le CHSCT nous aident à retrouver des espaces de travail plus calmes. Nous pouvons déjà commencer là maintenant tout de suite, à réduire la moitié des interruptions qui sont d’origine interne et nous empêchent de nous consacrer à une tâche plus de quelques minutes !

Attention, je ne dis pas pas pour autant que le salarié résoudra toutes les interruptions tout seul et qu’il n’y a pas de réponse collective. Mais des gains énormes et accessibles dès maintenant existent en s’attaquant d’abord aux interruptions internes.

Au passage l’étude considère les notifications d’emails comme des interruptions externes car issues d’un stimuli externe. Les interruptions dues aux notifications d’email constituent 12% de toutes les interruptions et 25% des interruptions externes. Je ne connais pas encore d’entreprise qui rende obligatoire ce type de notification (d’ailleurs l’inverse aurait du sens). Là aussi, faire disparaître ce type d’interruption externe ne tient qu’à vous : allez-y, il vous faut 3 secondes. Ayé, vous avez réduit de plus de 10% les causes de vos interruptions !

Conclusion

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Avec une tâche poursuivie sans interruption pendant seulement 3 minutes, voire moins, on l’a vu, écouter correctement jusqu’au bout un morceau des Sex Pistols relève donc de l’exploit !

Qu’on ne se méprenne pas, mon propos n’est pas de dire qu’aucune valeur n’est créée avec un temps moyen sur une seule tâche à 3 minutes.

Beaucoup d’organisations ou d’individus créent de la valeur en restant dans cette moyenne de 3 minutes. Je sais de quoi je parle, les contextes dans lesquels j’évolue dans mon activité de conseil sont hyper connectés, voire ont pour cœur d’activité des tâches intrinsèquement frénétiques (l’actualité en ligne). De la même manière, les différentes organisations évoquées dans les études ci-dessus n’ont pas fermé leurs portes ou déposé le bilan parce que leur personnel était incapable de rester plus de 3 minutes sur une même tâche.

La capacité à jongler avec des flux d’informations, à sauter du coq à l’âne, à croiser 10 personnes en quelques minutes est une compétence hautement utile dans la plupart de nos environnements.

MAIS l’hyper fragmentation, même si elle permet de créer de la valeur, est un boulet aux pieds des individus et des organisations.

A l’échelle de nos organisations, on nous enjoint d’innover, de nous améliorer en continu, de résoudre plus efficacement des problèmes de plus en plus complexes. Pensez-vous que l’iPhone ou les batteries Tesla ont été designés par tranche de 3 minutes ? Croyez vous que Toyota, le champion de l’amélioration continue résout ses problèmes en moins de 3 minutes ?

A l’échelle individuelle, les tâches que vous réussissez à réaliser par tranches de 3 minutes sont probablement des tâches faiblement complexes et à faible valeur ajoutée. Plusieurs conséquences à cela :

  • un travailleur détaché Polonais payé un demi smic, ou un stagiaire pas payé du tout, seront bientôt en capacité de réaliser ces mêmes tâches parce que leur complexité est relativement faible
  • c’est une perte certaine de performance et de résultat dans vos actions sans compter le stress inhérent aux contextes avec des interruptions fréquentes

A l’inverse, passer ne serait-ce que de 3 minutes à 10 minutes en moyenne sans interruption, vous donne un avantage concurrentiel immense sur le marché du travail, vis-à-vis de vos collègues ou en considérant vos perspectives de carrière. Vous serez ainsi en mesure de traiter des tâches d’une plus grande complexité intellectuelle et d’une plus grande valeur ajoutée. Accessoirement votre satisfaction du temps reconquis augmentera elle aussi.

Entrez votre email ci-dessous pour récupérer une infographie concoctée pour l’occasion, histoire de garder ces chiffres sous les yeux ou de créer la discussion dans votre open space :-)

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