On voit peu à peu nos capacités de concentration et d’attention en profondeur s’améliorer dès qu’on apprend à dompter les interruptions, ou qu’on soigne notre addiction au multi tasking. De 3 minutes maximum, on redécouvre petit à petit le plaisir d’être absorbé par une tâche complexe 10 minutes de suite, puis 30 minutes, et parfois jusqu’à 1 heure pour les plus attentifs d’entre nous !
Mais les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel.
Nous sommes évidemment incapables de maintenir une concentration et une attention parfaites pendant 8 heures d’affilées. Les lois de la biologie et de la physique nous imposent une limite à la durée maximale d’une concentration totale.
Je vois deux intérêts majeurs à connaître précisément cette limite :
- se donner un horizon de progression sur le mode « j’ai encore de la marge de progression car mon corps et mon cerveau me permettent d’aller jusque là »
- apprendre à s’arrêter au bon moment et prendre le repos que cette limite nous impose, pour repartir de plus belle ensuite. « Tiens, ça fait X minutes que j’y suis, c’est le moment de faire un break si je veux rester au max de mes capacités ».
Menons l’enquête pour découvrir cette limite.
30 minutes ? 1 heure ? 2 heures ?
Le test de vigilance de Mackworth
Pendant la seconde guerre mondiale, le chercheur Norman Mackworth a conçu un test de vigilance pour découvrir la durée optimale des shifts des opérateurs radar. A partir de quel moment leur vigilance baisse-t-elle au point qu’ils fonts trop d’erreurs de détection et doivent prendre un repos ?
Le test consiste à suivre un point qui avance de marqueur en marqueur, et saute parfois des marqueurs. Ce test est depuis devenu une référence pour tester la vigilance et la concentration sur de longues durées.
Résultat des tests : la vigilance décroît fortement dès 30 minutes et les erreurs de détection augmentent de 10 à 15%.
Vous allez me dire que vous n’êtes pas opérateur radar et que les activités nécessitant votre concentration sont radicalement différentes. A la fois c’est plus simple pour vous, car vous avez le droit à une micro-erreur pendant 1 seconde sans qu’il y ait mort d’homme. Mais c’est aussi plus compliqué car les stimuli sont plus complexes, la réflexion plus riche et les capacités cognitives mises en œuvre plus variées.
Prenons tout de même ces 30 minutes comme première référence des capacités humaines de concentration et d’attention en profondeur.
La technique Pomodoro
La technique Pomodoro continue de rencontrer un énorme succès pour aider à se protéger des interruptions. Le succès planétaire de cette technique est sans doute dû au « packaging » sympa et attractif de la technique, plus qu’à son caractère innovant.
En gros, le Pomodoro consiste à mettre une alarme en forme de tomate (Pomodoro en italien) dans X minutes. Puis on vous invite à ne pas diverger de vos tâches prévues avant que l’alarme ne retentisse…
Voilà comment périodes de concentration et périodes de repos s’organisent en Pomodoro :
- Se concentrer pendant 25 minutes (c’est la durée du Pomodoro)
- Prendre un repos de 5 minutes
- Tous les 5 Pomodoros, prendre un repos plus long de 15 ou 20 minutes
Problème, cette séquence de 25 minutes de concentration puis 5 minutes de repos, semble plus ou moins sortie du chapeau de l’inventeur du Pomodoro.
Voici ce qu’en dit le livre officiel du Pomodoro :
The Pomodoro has to encourage consciousness, concentration, and clear-minded thinking.
It’s been proven that 20- to 45-minute time intervals can maximize our attention and mental
activity, if followed by a short break.
L’auteur du Pomodoro ajoute alors une référence totalement improbable vers le livre de George Orwell La Ferme des Animaux. J’ai eu beau chercher dans le livre, je n’ai trouvé aucune référence à la durée d’attention idéale dans cette fable de George Orwell…
Plus loin dans le livre officiel du Pomodoro :
In various work groups which experimented with the Pomodoro Technique in mentoring activities, each team was allowed to choose the length of their own Pomodoro on the condition that this choice had to be based on observations regarding effectiveness. Generally, the teams started off with hour-long Pomodoros (25 minutes seemed too short at first), then moved to 2 hours, then down to 45 minutes, then 10, till they finally settled on 30 minutes.
On ne sait pas si 2 ou 200 équipes ont mené ces expériences pour aboutir à la durée de 30 minutes, mais on devine que cette limite symbolique d’une demi-heure tombe plutôt pas mal, et facilite la communication sur la technique.
En plus de la micro-itération de 30 minutes (25 minutes + 5 minutes de repos), la technique Pomodoro introduit une macro-itération de 2 heures 15 minutes (4 Pomodoro sont suivis de 15 minutes de repos).
Un espion sur votre ordinateur
Desktime est un logiciel qui permet de mieux comprendre vos usages numériques. Une fois installé, Desktime mesure les parts de distraction ou de travail concentré, en enregistrant et en analysant votre activité (temps passé sur internet, temps passé sur le logiciel de compta, changement de logiciel, etc).
L’éditeur de Desktime a réalisé une étude sur la base de millions d’enregistrements des comportements de ses utilisateurs, pour comprendre les meilleurs schémas d’activité et de repos.
Principal résultat de cet étude : les personnes les plus performantes travaillent en suivant une structure de 52 minutes de concentration suivies de 17 minutes de repos.
Au passage l’étude montre aussi que les repos des personnes les plus performantes se font loin de l’écran. Internet, Facebook ou autre distraction numérique ne permettent pas de récupérer au mieux pour repartir rafraîchi et rechargé à bloc !
Ce résultat a été largement relayé sur internet même si l’étude est critiquable : les données brutes ne sont pas publiées, leur définition des top performers est discutable, et les vidéos de chat sur smartphone ne sont pas détectées par Desktime.
Pour autant les conditions de l’étude sont très proches de nos contextes (ordinateur, connexion internet, interruptions numériques ou IRL…). Retenons donc cet ordre de grandeur : 1h de concentration puis 15 min de repos.
Deliberate Practice : combien de temps travaillent les champions
Anders Ericsson est maintenant célèbre pour ses études sur les facteurs de l’ultra performance. En particulier, son concept de « deliberate practice » regroupe les habitudes de travail et d’entraînement qui font la différence entre un faible niveau de performance et le meilleur niveau de performance, quelle que soit la discipline (sport, musique, échecs…).
Une de ses études sur les habitudes des champions a notamment cherché à mesurer les durées des sessions de travail de ces champions. En mode « deliberate practice », l’attention requise est tellement forte que la session de travail ne peut pas être maintenue très longtemps.
The duration of effective dailypractice that can be sustained for long periods is limited, and that according to teachers and training instructions, it is necessary to maintain full attention during the entire period of deliberate practice.
Résultat de l’étude, les champions font des sessions de 1 heure et 30 minutes, tandis que les amateurs font des sessions d’environ 45 minutes :
An analysis of the length of practice sessions showed that the experts practiced longer (87.90 min) than the amateurs (46.00 min).
Au passage, un autre résultat essentiel ressort de l’étude : on ne peut pas multiplier ces sessions hyper intenses dans la journée autant qu’on le souhaiterait.
A number of training studies in real life have compared the efficiency of practice durations ranging from 1-8 hr per day. These studies show essentially no benefit from durations exceeding 4 hr per day and reduced benefits from practice exceeding 2 hr.
Les champions étudiés par Ericsson pratiquent sur des sessions qui durent 1 heure 30 minutes et font 2 à 3 sessions par jour, pas plus. On est très loin de nos rythmes dans nos environnements de travail avec nos 100 sessions sur des durées allant de 30 secondes à 10 minutes ;-)
Les cycles du corps humain
Vous connaissez sans doute le cycle circadien qui régule les grandes phases de la journée dans le corps humain : sommeil, réveil, coup de barre de 15h, etc.
Il existe des cycles plus courts appelés cycles ultradiens. Ces cycles expliquent notamment les phases de sommeil. Le chercheur Nathaniel Kleitman a fait l’hypothèse que des cycles courts comme ceux des phases de sommeil pouvaient aussi expliquer des variations dans la performance pendant les phases d’éveil.
On parle alors de BRAC : « Basic Rest Activity Cycle ». Un cycle de ce type nous voit passer d’un maximum de vigilance à un minimum de vigilance.
Prendre en compte la limite de ces cycles ultradiens c’est comprendre qu’on doit prendre un repos dans le temps du cycle !
Il n’y a pas de consensus scientifique total sur ces cycles mais pour résumer, leur durée est comprise entre 1 heure 30 et 2 heures.
Au moins 1 heure, au plus 2 heures !
Reprenons :
- Le test de vigilance des opérateurs de radar donne une durée 30 minutes…mais on ne regarde pas des radars toute la journée.
- La technique Pomodoro conseille des petites itérations de 30 minutes mais des plus grosses de 2 heures.
- Un audit de milliers d’heures d’usages numériques avec Desktime donne une durée d’activité optimale de 1 heure suivie de 15 minutes de repos.
- Les études des champions montrent qu’ils travaillent sur des sessions hyper intenses de 1 heure et 30 minutes.
- Notre cycle physiologique d’activité et de repos est sans doute compris entre 1 heure 30 et 2 heures.
Les différents angles pour étudier cette question de la durée idéale, convergent donc tous sur une durée optimale entre 1 heure et 2 heures.
Vos capacités intrinsèques sont donc de cet ordre. Peut-être que vous avez de la chance et que vous pouvez monter jusqu’à 2h. Ou alors votre max est plutôt à 1h.
Mais dans tous les cas, votre durée max optimale est très probablement dans cet intervalle 1h-2h ! Vous pouvez faire beaucoup mieux que 10 minutes c’est sûr, et à l’autre extrême vous ne serez sûrement pas à votre top 3 heures de suite, c’est impossible.
Et moi j’en fais quoi de cet intervalle 1h-2h ?
Connaissant cette durée optimale, tirons en les conséquences sur notre quotidien à travers les étapes suivantes :
- s’auto diagnostiquer pour s’évaluer par rapport à cette limite
- se donner un objectif de progression par rapport à cette limite
- définir les étapes à franchir pour atteindre cet objectif
Dans le détail :
Le diagnostic
- Quel est le max actuel que je peux tenir facilement tous les jours ? 1 minute ? 10 minutes ? 1 heure ? Je peux mesurer à la louche : quelle durée d’attention en profondeur ai-je pu maintenir sur les 3 derniers jours ?
- Est-ce que je suis loin de l’intervalle 1h-2h ? Quelle est ma marge de progression ?
- Si je suis déjà dans l’intervalle 1h-2h, je peux faire différents essais pour trouver la durée qui me convient le mieux entre 1 heure et 2 heures.
L’objectif de progression
Pour la plupart d’entre nous, se donner comme objectif de mener jusqu’au bout UNE session quotidienne de 1h à 2h de concentration et d’attention en profondeur est déjà super ambitieux !
Atteindre cet objectif sera extrêmement enrichissant :
- vous serez en capacité de mener des tâches riches et complexes comme vous ne le faites plus depuis un moment.
- dans les métiers les plus perturbés par le numérique, cette session quotidienne vous donne un avantage concurrentiel énorme en terme de résultats (complexité des tâches traitées et vitesse d’exécution).
- 1h à 2h par jour vous donnent un superbe potentiel d’apprentissage de nouvelles compétences, soit parce que votre métier évolue en permanence, soit parce que vous voulez lui donner une nouvelle direction.
Pour les champions de la concentration et de l’attention, l’objectif peut être plus ambitieux encore en cherchant à caler plusieurs sessions de 1h-2h par jour. Pas plus de 2 ou 3 on l’a vu.
Les étapes pour y arriver
Si mon max actuel est en deçà de l’heure, il me reste intrinsèquement une bonne marge de progression. Atteindre ce potentiel max nécessitera sans doute de chasser les interruptions endogènes et exogènes. Les principales pistes pour supprimer les interruptions endogènes :
- Supprimer les stimuli que je m’inflige (alertes, notifications…)
- [Lutter contre la procrastination](GHOST_URL/procrastination-ce-que-dit-la-science-3eme-partie-les-remedes/" target="_blank)
- [Muscler le contrôle de soi](GHOST_URL/procrastination-science-controle-de-soi-muscle/" target="_blank)
- [Ré apprendre à maitriser sa boite email, plutôt que d'en être l'esclave](GHOST_URL/31-astuces-pour-gerer-ses-emails-plus-efficacement/" target="_blank).
Les pistes les plus évidentes pour les interruptions exogènes :
- Diminuer la durée des réunions et diminuer le nombre de réunion.
- Protéger des moments de son agenda sans réunions + se protéger physiquement. En télétravail ou [dans un train par exemple](GHOST_URL/la-vache-totem-de-lefficacite/" target="_blank).
Et enfin, on n’insistera jamais assez sur ce point : profiter pleinement de votre durée maximum de concentration nécessitera de tenir rigoureusement les 10 à 20 minutes de repos qui doivent suivre systématiquement ! Astuce : mettre une alarme à sa limite supérieure (par exemple 1h30) quand on se lance dans la session quotidienne pour ne pas oublier le repos qui s'impose.
A vous de jouer.
La formation Le Temps Reconquis est le meilleur moyen pour vous et les membres de vos équipes de se rapprocher de cette durée maximum idéale, pensez-y ;-)