Procrastination, ce que dit la science (3ème partie) : les remèdes

Le premier article de cette série « science et procrastination » décrivait les effets de la procrastination sur le stress, la santé et la performance, tandis que le second article précisait la nature de la procrastination, en particulier les traits de personnalité les plus liés à la procrastination (le contrôle de soi et la confiance en ses capacités).

Cet article va présenter un modèle qui intègre l’ensemble des facteurs de la procrastination. Ce modèle va nous permettre d’identifier et de cataloguer les remèdes correspondants à chaque cause.

“Temporal Motivation Theory”, l’équation de la procrastination

Comment mesurer la motivation à faire cette action plutôt qu’une autre ? Quelles sont les raisons qui expliquent une faible motivation et donc, de plus grands risques de procrastiner une action ?

Le chercheur Piers Steel, dont on a parlé dans un précédent article, a souhaité intégrer les résultats de sa méta étude ainsi que d’autres théories de la motivation dans un seul modèle. La question du temps et les facteurs de la procrastination sont au cœur de ce modèle “Temporal Motivation Theory”, dans ce qu’on pourrait appeler l’équation de la procrastination.

Pas d’inquiétude, même pour les plus réfractaires aux maths, vous allez voir c’est plutôt simple et surtout cette équation résume à elle seule la problématique de la procrastination.

Selon Piers Steel la motivation peut ainsi s’exprimer comme suit :

Motivation = (espérance x valeur) / (impulsivité x délai)

Détaillons rapidement chaque terme de l’équation.

  • Espérance : c’est la probabilité qu’on se donne de réussir, directement liée à la confiance en ses possibilités. Nous sommes plus motivés à attaquer une action pour laquelle nous sommes confiants dans nos chances de réussir. Plus l’espérance est forte et plus la motivation à attaquer maintenant une action plutôt qu’à procrastiner est forte.
  • Valeur : c’est la valeur du résultat de l’action, à nos yeux. Evidemment si le résultat d’une action est gratifiant et satisfaisant nous allons davantage être motivés à commencer rapidement plutôt qu’à repousser à plus tard.
  • Impulsivité : ce facteur mesure notre sensibilité au temps, notre incapacité à maîtriser les distractions, notre manque de contrôle de soi quand on poursuit un but, notre incapacité à retarder une gratification. Plus notre impulsivité est grande et plus notre motivation à commencer une action là maintenant, tout de suite, est faible. Vous l’avez compris, la définition qu’on donne ici à l’impulsivité n’est pas celle du langage commun qu’on trouve dans l’expression « il est très impulsif » puisqu’il s’agit plutôt ici de notre incapacité à maîtriser les stimuli externes par le contrôle de soi.
  • Délai : c’est le délai attendu avant d’arriver au résultat de l’action. Plus de délai est grand et moins notre motivation est grande. Nous avons ainsi beaucoup de mal à nous motiver pour des actions dont les résultats se feront sentir dans plusieurs années. Le court termisme est un moteur puissant de la procrastination.

Appliquons ce modèle dans des situation bien concrètes.

1er exemple, vous devez écrire une note d’avancement sur un projet pour la semaine suivante ou alors vous pouvez choisir de zoner sur internet… Quelle est votre motivation pour faire cette note versus procrastiner cette tâche et regarder des vidéos de chats ?

Les facteurs du haut de l’équation (la procrastination diminue quand ils augmentent) :

  • Espérance : elle est assez élevée. Vous savez que vous aller réussir cette note d’avancement car vous en avez déjà fait plusieurs du même type par le passé et il n’y a pas grand chose de compliqué dans cette tâche.
  • Valeur : elle est très faible. Vous doutez de l’utilité de cette note, d’ailleurs vous n’avez jamais osé le dire mais vous trouvez le fond et la forme de ce type de note sans intérêt. De plus c’est très ennuyeux à rédiger. Le haut de l’équation “espérance x valeur” est donc plutôt bas.

Les facteurs du bas de l’équation (la procrastination augmente quand ils diminuent) :

  • Impulsivité : ce facteur est très fort, vous êtes dans un open space bruyant, on vous propose un café toutes les 20 minutes et les notifications d’arrivée de nouveaux emails vous déconcentrent en permanence.
  • Délai : cette note est pour dans une semaine, le délai est moyen.

Valeur au plus bas, impulsivité et délai assez haut : résultat, vous procrastinez la note projet et les vidéos de chats gagnent cette fois-ci ! L’équation change radicalement à 1h de l’échéance, car à ce moment-là le facteur délai va se rapprocher de 0 et la motivation grimpera en flèche, vous attaquerez enfin cette note que vous bâclerez en quelques minutes.

2ème exemple : quelle est votre motivation à commencer ce projet perso de R&D qui pourrait aboutir dans deux ans sur un nouveau produit ou même sur le lancement d’une nouvelle activité professionnelle ?

Les facteurs du haut de l’équation :

  • Espérance : elle est faible. Ce type de projet est totalement nouveau pour vous et vous êtes loin de votre zone de confort. Votre confiance en vos capacités sur ce projet est relativement basse.
  • Valeur : elle est fluctuante. Un jour vous vous dites qu’elle est énorme mais le lendemain vous avez du doutez de l’intérêt final de ce projet.

Les facteurs du bas de l’équation :

  • Impulsivité : ce facteur est très élevé. Tout se met en travers de votre route : vos activités professionnelles, familiales, internet, les réseaux sociaux, tout ! Le facteur impulsivité est au plus haut.
  • Délai : il est très important car c’est un projet de long terme qui n’aboutira sans doute que dans 1 ou 2 ans.

Espérance faible, impulsivité et surtout délai très importants : vous avez malheureusement tendance à procrastiner les actions de ce projet qui pourrait changer votre vie :-(

Maintenant que nous comprenons cette équation de la procrastination, étudions les contre-mesures et remèdes pour chacun des facteurs de l’équation.

Les remèdes

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L'équation de la procrastination trace 4 voies clairs pour augmenter la motivation de commencer tout de suite une action :

  • augmenter l'espérance
  • augmenter la valeur
  • diminuer l'impulsivité
  • diminuer le délai

Augmenter le facteur espérance

Les recherches (en particulier les travaux de Bandura) ont montré qu’on pouvait améliorer la confiance qu’on a en ses chances de réussite :

  • Par la persuasion verbale : faites comme Gerard Jugnot dans Une Epoque Formidable : « t’es un killer Berthier ! ».
  • Par le fait de voir d’autres personnes réussir ce type de tâche. Cela rendra la tâche plus accessible à vos yeux et augmentera les chances perçues dans la réussite de votre projet.
  • Par l’amélioration des compétences : l’entraînement, l’acquisition de compétences vous rendront plus confiants.
  • Par les accomplissements réels : réussir des actions similaires confirmera réellement vos capacités. C’est le moyen le plus efficace pour augmenter ce facteur espérance. Toute réussite concrète augmentera ainsi grandement votre confiance en vous et diminuera le risque de procrastiner !

Augmenter le facteur valeur

La valeur des tâches ennuyeuses

Les tâches ennuyeuses ont une valeur extrêmement faible et toutes les chances d’être repoussées à plus tard.

Dans ce cas et si la tâche ennuyeuse est vraiment nécessaire, 2 remèdes sont à tenter :

  • Augmenter la difficulté, le plus souvent en se donnant un délai déraisonnable pour traiter cette tâche ennuyeuse. Exemple : j’ai un bon paquet de tâches administratives ultra ennuyeuses que je reporte depuis des semaines, je me donne alors un délai extrêmement court pour toutes les réaliser. Ce petit challenge supplémentaire rehausse la valeur sinon nulle de ces tâches.
  • Joindre l’utile à l’agréable : j’ai beaucoup de mal à préparer une présentation pour une conférence. En revanche, j’aime bien discuter autour d’un bon déjeuner. J’intègre l’action que je procrastine (préparer la conférence) à une activité qui m’est agréable (un bon déjeuner de travail), et paf je prépare ma conférence sans difficulté.

La valeur des actions au résultat lointain et flou

Pour des actions dont le résultat est très lointain, le risque est d’oublier la valeur qu’on y accordait au départ. Dans ce cas, reposer les questions suivantes va permettre de vérifier le « pourquoi », de visualiser le résultat et de confirmer que cette action reportée est en réalité la meilleure qui soit :

  • Quel est le résultat attendu derrière cette action ? Pourquoi je voulais faire ça déjà ?
  • En quoi je serai mieux une fois atteint ce résultat ? Et dans le détail, qu’est-ce qui sera mieux exactement ?
  • Cette action est-elle vraiment le moyen le plus efficace de me rapprocher de ce résultat ?

Au passage, ce questionnement peut aussi être l’occasion d’abandonner purement et simplement l’action si celle-ci n’est plus le meilleur moyen de se rapprocher du but poursuivi !

La valeur de l’effort

La vraie recette miracle pour augmenter ce facteur « valeur » de l’équation, consiste à trouver de la valeur dans l’action et dans l’effort lui-même, en plus de la valeur attachée au résultat !

Prenons l’exemple du projet lointain qui va changer votre vie. L’idéal est de trouver du plaisir dans toutes les sous-étapes de ce projet, y compris les plus fastidieuses.

De nombreuses théories défendent cette voie du « goût de l’effort » :
Dans l’état idéal du Flow popularisé par Mihály Csíkszentmihályi, l’expérience du Flow en tant que telle devient une fin en soi. On parle d’activité autotélique qui se justifie par elle-même, sans avoir à considérer le but de l’activité. L’état du Flow nous rend ultra performant en plus d’être très satisfaisant.

En psychologie comportementale, la théorie du Learned Indoustriousness nous explique que les individus qui réussissent le mieux sont ceux qui trouvent une récompense supplémentaire dans l’effort lui-même, surtout quand cet effort est important. Tant que des succès intermédiaires sont engrangés, la sensation d’effort va petit à petit devenir satisfaisante à elle seule.

Dans l’approche « Growth Mindset » versus « Fixed Mindset » de Carole Dweck, l’une des conditions nécessaires au progrès et à la croissance personnelle ou collective, est l’amour pour l’effort lui même.

Diminuer la facteur impulsivité

Plusieurs voies sont possibles pour diminuer l’impulsivité dans l’équation de la procrastination : on peut diminuer les stimulis de l’impulsivité, ou automatiser les réponses ou encore améliorer le contrôle de soi.

Contrôler les stimuli est la voie la plus facile à mettre en œuvre pour réduire les distractions qui sont la principale cause de l’impulsivité. Par exemple plutôt que de chercher à résister à la tentation de regarder mes emails à chaque notification, je vais tout simplement désactiver les notifications !

Dans la même veine, je vais m’installer dans une bibliothèque (ou dans un train !) plutôt que dans un café si j’ai besoin de calme total pour écrire cette note compliquée.

On peut aussi diminuer le facteur impulsivité en automatisant les réponses aux stimuli. En effet une étude montre qu’un prédicteur très fort de la procrastination est le nombre de choix et de décisions nécessaires à l’action qu’on repousse. Plus on doit décider et choisir, plus on a de chance d’échouer en chemin et de procrastiner. Le remède consiste alors à éviter les choix et les décisions en mettant en place un système qui le fait pour nous. Ce système doit permettre d’attaquer la tâche en pilote automatique. C’est la force des routines !

Exemple, j’ai tendance à procrastiner toutes mes tâches administratives, qui prennent pour certaines un retard couteux (E. Macron si tu nous regardes…). Une routine matérialisée dans un créneau systématique tous le vendredi après-midi, va me forcer à le faire sans trop me donner le choix. Une fois cette routine mise en place, la question de retarder ces tâches ne se pose plus ! On aura l’occasion de revenir sur la mise en place de ce type de routine, ce n’est pas une mince affaire je vous l’accorde.

Enfin, améliorer son contrôle de soi pour lutter contre l’impulsivité est un remède puissant. On abordera la question du contrôle de soi en détail dans le prochain article de cette série « science et procrastination ».

Diminuer le facteur délai

Comment diminuer ce facteur délai qui augmente mécaniquement la procrastination lorsque le résultat d’une action n’arrivera que dans un futur lointain ?

La solution consiste à « cacher » un résultat long terme derrière des résultats intermédiaires qui arriveront plus tôt. C’est une technique classique d’efficacité personnelle que fonctionne bien dans l’équation de la procrastination. Je découpe mon action ou mon objectif et je trouve des résultats atteignables dans un futur beaucoup plus proche, et hop j’ai largement diminué le délai et la motivation va grandement augmenter dans l’équation !

Conclusion

Le modèle de Piers Steel met donc au cœur de l’équation de la procrastination l’espérance, la valeur, l’impulsivité et le délai. Ce modèle nous sera extrêmement utile au quotidien car il nous permettra de comprendre et de trouver des remèdes.

Tout d’abord en mettant le doigt sur les raisons qu’on a de procrastiner une action bien précise. Est-ce que je repousse cette action parce que l’espérance est faible ? La valeur est faible ? Parce que l’impulsivité ou le délai sont trops forts ?

Ensuite en identifiant les remèdes en fonction du ou des facteurs déterminants la procrastination de cette tâche.

  • Si c’est l’espérance qui est trop faible : je me redonne confiance en progressant sur les savoir-faire nécessaires ou bien en côtoyant des personnes qui maîtrisent ce type d’action, ou encore tout simplement en engrangeant des petites victoires.
  • Si c’est la valeur de l’action, qui pêche, je m’assure que je poursuis le bon lièvre. Si la tâche est ennuyeuse, je la trafique pour la rendre intéressante voire excitante. Saint Graal de la valeur : un goût de l’effort plus développé va permettre de donner de la valeur à l’effort de l’action lui-même.
    ** Si l’impulsivité m’empêche d’avancer, je contrôle les stimuli, j’automatise mes protections ou encore je développe mon contrôle de soi.
  • Enfin si le délai me pousse à procrastiner je trouve des étapes et des victoires intermédiaires dans un futur beaucoup plus proche !

Dans le prochain article de cette série « science et procrastination », nous allons tenter de mieux comprendre le contrôle de soi et son impact sur la procrastination. Comment fonctionne-t-il ? Comment puis-je le développer ? Stay tuned !


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